CHAPITRE XXXII

— Je ne vois rien, dit Gus qui s’était hissé tant bien que mal pour regarder, lui aussi, par la lucarne de la petite maison.

La pluie continuait par rafales. La condensation avait dû atteindre un point limite et les variations de température provoquaient cet orage.

— Le rideau de pluie masque l’objet. Patiente un peu.

Le cul-de-jatte grimaça mais attendit et, soudain, il aperçut l’espèce de borne de couleur jaune, se laissa tomber :

— Le distributeur de plaquettes nutritives ? C’est ça que tu me désignais.

— C’est ça. Kurts l’avait complètement vidé de ses plaquettes. Et il le guettait, certain que quelqu’un venait s’y ravitailler. Il voulait surprendre cet être-là.

— Un Garou ?

— Qui sait ? Un être qui avait une grande importance aux yeux de Kurts, très certainement. Il n’a pas construit cette maison miniature, n’y a pas séjourné pour rien.

— Il est peut-être dingue et poursuit ses obsessions… Ça ne veut rien dire. Nous devons continuer. Je suis d’ailleurs certain qu’il n’est pas dans ces bas-fonds, ajouta le handicapé en s’allongeant sur la couchette unique.

La pluie martelait le toit très fort et c’était autre chose que de la pluie qui tombait.

— De la glace, constata Gus, on n’échappe pas à cette saloperie.

— De la grêle plutôt. La végétation en prend un coup.

La sève verdâtre jaillissait des branches mutilées, coulait ensuite en filets visqueux jusqu’à disparaître entre les racines aériennes, rejoignait peut-être un sol lointain.

— Nous allons attendre cet être longtemps ?

— Nous pouvons marquer une pause, après des jours épuisants. Ça nous fera du bien.

Gus parut peu disposé à accepter puis se résigna, annonçant qu’il resterait là vingt-quatre heures, pas plus. Il n’avait pas envie de perdre son temps en recherches stériles. Toujours à peu près certain que Lien Rag avait tué son ami Kurts, s’était débarrassé du corps en l’expulsant dans le vide. Il ne pensait qu’aux scaphandres sidéraux, leur seule chance de sortir dans le vide pour intercepter une navette terrestre.

Il finit par s’endormir sur sa couchette tandis que Lien Rag veillait en absorbant régulièrement des plaquettes anti-sommeil. Il aurait voulu poursuivre la fouille de la cabane, retrouver d’autres indices prouvant que Kurts était resté là pas mal de temps. Il ne supportait pas les accusations de Gus, savait dans le fond de lui-même qu’il n’aurait jamais pu tuer Kurts, même si celui-ci s’était montré dangereux.

— Alors du nouveau ? se moqua Gus en se réveillant un peu plus tard. Il ne pleut plus ?

Lien Rag se taisait. Il faisait même encore grand jour et il espérait que la nuit artificielle ne viendrait pas, que le système s’était pour une fois détraqué pour leur rendre ce service-là.

— Tu veux manger quelque chose ? Je prépare du chaud ou du froid ?

— Ce que tu veux pourvu que je puisse manger sans quitter mon poste d’observation.

Gus ne se débrouillait pas trop mal en cuisine, même avec les aliments de survie qu’ils avaient emportés. Il y avait aussi des morceaux d’agneau qu’il savait faire cuire sur un petit réchaud spécial. L’odeur agréable se répandit dans la cabane et Lien Rag se mit en colère :

— Tu vas me gâcher mon coup, si cet être respire ça, il se méfiera.

— Pourquoi ça ne l’attirerait pas, au contraire ? répondit Gus tranquillement. Je ne pense pas qu’il viendra quelqu’un, vois-tu.

La nuit ne vint pas, la lumière ne faiblit même pas et malgré la fatigue Lien Rag tint bon, continua de surveiller le distributeur de plaquettes nutritives. Vue de la lucarne, la borne apparaissait intacte. Pour obtenir une plaquette, il fallait effectuer trois opérations coordonnées que seul un être intelligent était capable de mener à bien, pas un Garou. Ce dernier aurait plutôt, à condition qu’il en ait la force, détruit l’appareil pour le vider de son contenu. Or, apparemment, le distributeur n’avait pas été forcé.

Il plut un peu au cours de cette nuit illuminée, quelques gouttes flasques. La chaleur s’était renforcée et la sève s’évaporait très rapidement ainsi que le sous-sol invisible à travers les racines aériennes. Il en monta bientôt comme un brouillard mou qui recouvrit toute la jungle. Un temps, l’appareil fut dissimulé et Lien Rag faillit sortir pour le surveiller de près, mais d’un coup la brume se leva, forma des gros nuages menaçants au-dessus de la maisonnette. Dans son sommeil Gus s’agitait, maugréait certainement à cause de la chaleur humide. Les thermostats avaient dû se dérégler, une fois de plus. En principe dans ces soutes aurait dû régner un climat assez frais, juste quelques degrés au-dessus de zéro.

— Il est venu, ton gars ? demanda Gus en basculant son corps comme celui d’un jouet culbuto pour s’asseoir sur la couchette.

Il frotta ses cheveux, soupira :

— J’ai drôlement soif. Veux-tu quelque chose ?

— Du thé.

— N’oublie pas que nous partons au début de l’après-midi quel que soit le résultat. Ici, on va moisir. Tu as vu les champignons qui ont poussé en quelques heures ?

Lien Rag ne s’en était même pas aperçu. Il y en avait des dizaines dans tous les recoins de la cabane, certains déjà de belle taille.

Gus préparait le thé, sortait des biscuits vitaminés, lorgnait sur les tablettes nutritives. Il se demandait quel goût elles pouvaient bien avoir.

— Tu en veux ?

Distrait Lien Rag fit signe que oui. Il avait l’impression que derrière le distributeur de nourriture de couleur jaune la végétation s’était assombrie en un endroit précis. Les brumes masquaient les sources d’éclairage et peut-être qu’une ombre, projetée depuis le haut, formait cette silhouette informe qui pouvait s’apparenter à celle d’un être humain.

— Encore du thé.

— Tais-toi, chuchota Lien Rag.

— Tu vois quelque chose ?

Cette fois la silhouette, d’un vert sombre, se détachait, n’était plus en deux dimensions, prenait un certain relief. C’était un être de grande taille qui écartait les bras et regardait en direction de la cabane.

— Il est inquiet, surveille le coin. Je t’en supplie, plus un mot, plus un geste, plus une odeur…

— Du calme, murmura Gus. Ne t’excite pas comme ça. Tu crois qu’on pourra s’emparer de lui ?

— Je n’en sais rien, fous-moi la paix.

C’était comme une silhouette de verdure qui approchait du distributeur dans la lumière tamisée par les brumes. Et puis d’un coup les nuages se déplacèrent et Lien Rag vit le visage de l’homme.

— Tu le vois ?

— Très bien, fit Lien Rag d’une voix rauque. C’est Kurts.

 

Le sang des Ragus
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